Tinfoil on the Windows, Hartzine (FR)

Si on pouvait labelliser les genres comme on labellise certains de nos breuvages favoris, pour sûr l’indie rap canadien mériterait une Appellation d’Origine Contrôlée tant il nous apparaît depuis l’éblouissant Vertex de Buck 65 singulièrement différent de ce que nous catégorisons de coutume sous le terme “hip-hop”. En effet au pays des caribous, l’idéal-type du b-boy est à mille lieux de l’iconographie hiératique du bad boys Angelinos. Aussi, de ce côté-ci des Grands Lacs, dans la province du Saskatchewan, là où l’ennui des prairies sans fin remplace celle des quartiers sans horizon, le rappeur est souvent blanc, peut avoir comme modèle Johnny Cash, porter des chemises en laine en plus d’être à carreaux, détester le Moët, les blunts, les putes au fessier aussi rebondi que les suspensions d’un Monster Truck en action et leur préférer le whisky sans âge, la clope sans filtre et les femmes sans seins ; écouter le Wu-Tang les pieds vissés dans la boue, une canne à pêche dans une main, un livre de Burroughs dans l’autre ; sentir la paille humide plutôt que le bitume froid et croire encore que sa musique à une âme.


Ce type ainsi défini a son maître. Un homme au nom de scène à la syllabe redondante, soso , fondateur en 99 avec son pote poivre et sel Epic de l’indispensable Clothes Horses Records et instigateur d’une musique qui, bien que formellement se définisse comme du rap, a su à la manière de ses cousins éloignés d’Anticon, bâtir un style inédit et anticonformiste plutôt que de s’efforcer à vainement reproduire un genre toujours profondément ancré dans ses fondements urbains et délibérément exégète de l’histoire de la musique noire dont elle est naturellement originaire. Bref Troy Gronsdahl de son vrai nom conçoit un rap non orthodoxe, lo-fi, sans fard ni paillettes, capable avec toute la simplicité et l’humilité qui caractérisent ses productions autant que l’homme qui les compose, de construire des ponts entre le songwriting dylanien, la noirceur lumineuse de My Bloody Valentine ou encore la frange la plus honorable du hip-hop made in US (Sage Francis, Ceschi Ramos, Astronautalis, Otem Relik).

Le décor ainsi planté, on louera donc la belle initiative de la structure clermontoise Kütu Folk Records de ressortir- 3 ans après sa parution confidentielle sur le label montréalais Endemik – Tinfoil On The Windows, dernier album en date du natif de Saskatoon. Initiative qui, on l’espère enfin, aura pour conséquence heureuse de détourner quelque peu ce hip-hop mutant du relatif anonymat dans lequel il semblait être à jamais réduit. Faisant suite aux essentiels Birthday Song et autre Tenht Street and Clarence, cet album avec l’apport (parfois trop prégnant) des guitares noisy de son compatriote Maybe Smith pousse ainsi la formule éprouvée jusqu’alors – celle du mélange opportun entre une rythmique minimaliste, véritable éloge à la lenteur, l’intelligente trivialité des paroles et l’épure mélodique de l’ensemble – vers une étrange radicalité, presque post-rock, renforcée par cette ambiance hallucinée de fin du monde qui s’en dégage.

Seulement tutoyer ainsi l’extrême aurait pu être fatal à cet ultime effort si soso n’avait pas feint d’ignorer la beauté fantomatique de l’esprit folk qui était au cœur même de ses précédents albums. Or soyez rassurés, le piano désaccordé de saloon poussiéreux aux sonorités cafardeuses et poignantes résonne toujours. Les cordes rêches et tendues de sa veille guitare acoustique, vestige d’un passé musical encore bien vivant, poursuivent leur quête ancestrale. On perçoit aussi ici un bel accordéon, là des bruits familiers, parfois des chœurs tout en retenue et c’est toujours cette même écriture sondeuse, dépouillée et cette manière si particulière de la chanter qui sont une nouvelle fois à l’œuvre ; prouvant enfin que le rap peut être tout aussi poignant, sérieux et poétique qu’une chanson de Will Oldham et ce, même revisitée par Bark Psychosis.