Cet album, ce devait être le plus ambitieux de soso. Sorti chez Endemik, label plus exposé et mieux distribué que le sien, enregistré avec la guitare et le son rock de son ami Maybe Smith, “Tinfoil on the Windows” visait sans doute à donner une nouvelle dimension au rappeur et producteur le plus singulier du Saskatchewan. Et de fait, l’affaire s’annonçait plutôt bien. A mesure qu’approchait la date de sortie de l’album, on a vu soso mentionné là où il ne l’avait jamais été (c’est-à-dire, ou peu s’en faut, n’importe où en dehors du présent site). C’est pourtant le même personnage que sur les très bons “Birthday Songs” et “Tenth Street & Clarence” qui se retrouve ici. Le rap de soso se traduit toujours par ce spoken word introspectif et ces quelques poussées de chant aigu et étranglé. Il y a toujours cette histoire d’amour névrosé et noyé dans l’alcool, ces mêmes évocations d’une vie paumée dans le grand nord lugubre des prairies canadiennes, ces mêmes aphorismes à vous démoraliser un régiment (“the absence of pain is often mistaken for happiness”) déclamés avec sècheresse et justesse. Il y a même ces petits détails issus de la vie courante dont soso a toujours était friand, comme ces cris d’oiseau qui ouvrent le disque ou les grincements qui accompagnent le piano de “Floorboards On”.
Mais pourquoi donc soso a-t-il voulu prendre le chemin suivi par tant d’autres artistes hip hop blancs ? Pourquoi avoir voulu assumer plus clairement le côté rock qui a toujours été latent dans sa musique avec ces guitares noisy ? Alors que sur ses disques précédents, ses propos étaient idéalement soulignés par des beats dépouillés, mélancoliques et ingénieux et qu’ils formaient de véritables chansons dotées chacune d’une forte personnalité, ils se perdent ici dans les méandres des guitares de Maybe Smith. On voit clairement où les deux veulent en venir avec ces longues ambiances et l’ajout passager ici d’un orgue, là d’un bel accordéon, ailleurs d’un piano. Mais au total, quand l’album s’écoute en entier, chaque morceau donne l’impression d’être semblable au précédent. Il n’y a pas de coupure, pas de rupture, pas de montée ou de descente de tension. Cela devient une sorte de magma aux pièces indistinctes, où les textes graves de soso manqueraient parfois de tutoyer le ridicule, ce danger qui menace tout chanteur porté sur le sérieux et sur l’introspection.
De fait, pour apprécier les morceaux de “Tinfoil on the Windows”, il faut les isoler. Il faut cesser un moment d’écouter l’album d’une seule traite. Alors là, et là seulement, on retrouve le soso des disques précédents, par exemple sur ce “Company of Chairs” en crescendo et aux habiles percussions, ou sur “One Eye Open”, le temps fort du disque, et sur les choeurs du long et conclusif “For a Girl on a Faraway Hill”. Avec ses beats rachitiques et tristes et son spoken word pas rasoir, le producteur et MC avait inventé une version originale, inédite, personnelle du hip hop, et cela peut manquer aujourd’hui. Mais même avec les guitares de Maybe Smith, c’est toujours du soso. Il faut juste savoir passer outre cette impression, tenace mais fausse, d’avoir affaire à un disque indie rock de deuxième zone.
– Sylvain Bertot