Depuis 2007 et son dernier véritable album, Tinfoil on the Windows, on pensait que soso avait disparu avec Clothes Horse, son label. Il y avait bien eu All They Found was Water at the Bottom of the Sea, en 2009, un disque sorti en commun avec DJ Kutdown, mais cela n’avait été qu’un projet instrumental sans lendemain, disponible uniquement chez les fétichistes japonais de Hue Records. En 2013, cependant, soso est toujours là. Comme d’autres artistes importants de la vague rap indé, il a trouvé refuge chez l’un des rares labels à entretenir encore la flamme, en l’occurence, ici, le Endemik Music de Scott Da Ros.
Mieux encore, son nouveau disque, Not For Nothing est sorti en parallèle chez Kütu Folk, un label basé à Clermont-Ferrand et donc distribué en France, grâce auquel notre homme a participé il y a peu aux Transmusicales de Rennes, et récolté ses premières critiques, sans doute, dans la presse papier de notre pays. Une presse parfois circonspecte, pour tout dire, et qui, n’ayant pas suivi l’histoire, peine à cerner l’album. Et à cela, rien d’étonnant. Soso, on le sait, n’a jamais été pour tout le monde. Il faut aimer ce rap parlé, tout en contemplations, d’une tristesse, d’une honnêteté et d’un pathos au bord de l’insupportable. Il faut savoir apprécier ces beats squelettiques et froids qui habillent à peine le journal intime qu’est chaque disque du Canadien.
La musique de soso a toujours été à se tirer une balle, et ce nouvel album ne fait pas exception. Ca commence fort, dès “Things Started out So Pretty”, avec de profondes angoisses existentielles, ça se poursuit avec des réflexions sur un amour perdu, ou impossible, ou bien les deux (“Pretty as a Picture”), puis avec un anniversaire célébré dans l’ennui d’une vie trop ordinaire (“The Rain Barrel”), et une réflexion sur l’abandon et la résignation (“If I ever Knew You, I don’t Know You Now”). Voilà déjà pour la première moitié. Quant à la seconde, plus obtuse encore, elle démarre avec des idées de suicide, ou de meurtre (“Choke”), nous décrit l’extermination d’un raton-laveur par un enfant (“The Extermination of a Raccoon”), l’incapacité des êtres à communiquer (“The Blushing Bride”), et finit par un cri de désespoir, soso espérant sans y croire qu’un amour passé n’aura pas été totalement vain (“Not For Nothing”). Ouf.
Bref, l’amour est un leurre, la vie ne vaut pas la peine d’être vécu, tout est gris. Même les non-anglophones comprendront l’idée générale, en écoutant le Canadien déclamer lentement ses vers, poète accablé plutôt que rappeur sûr de lui, voire à l’écouter chanter. Car soso chante aussi, parfois, d’un ton fragile et incertain sur “The Blushing Bride”, puis d’une voix déformée et désespérée sur “Not for Nothing”. Les auditeurs, aussi, percevront le tragique de la situation avec la musique, conçue avec l’aide d’un vieux complice, le producteur Maki.
Sur ce plan, c’est le retour du soso le plus noir, de ces paysages sonores austères qui évoquent la profondeur glacée et déprimante des plaines de l’Ouest canadien, celles même où il vit. Le rythme est lent et lourd, la musique se résume à quelques instruments mélancoliques et desséchés, guitare et piano en tête, dans un style proche des disques tardifs de Talk Talk, comme avec le très beau “Pretty as a Picture”, dont le chant final rappelle d’ailleurs furieusement Mark Hollis. Aussi, comme pour accentuer l’impression de douleur, soso s’efface régulièrement derrière les instrumentaux, au début de l’album, à la fin, au milieu des morceaux. Il se tait, il laisse s’installer leur ambiance mortuaire.
La musique occupe une place cruciale. Elle magnifie comme jamais chaque titre de ce dernier album. Mais elle renoue aussi avec la sobriété mélancolique qui faisait défaut à un Tinfoil on the Windows trop envahi par les guitares. Elle permet à Not For Nothing, œuvre tardive et inattendue de soso, d’approcher de manière inespérée la qualité de Birthday Songs et de Tenth Street & Clarence, les grands albums livrés dans la décennie précédente par le singulier Canadien.
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